Médicaments et personnes âgées
Quelles sont la fréquence et la gravité du risque iatrogénique chez les personnes âgées ?
Le risque iatrogénique chez les personnes âgées constitue un véritable problème de santé publique en raison de leur fréquence et de leur gravité.
Les effets indésirables des médicaments sont deux fois plus nombreux après 65 ans et 10 à 20 % conduisent à une hospitalisation. Ils sont le plus souvent en tout ou partie liés à un effet secondaire médicamenteux chez les sujets âgés, fréquence semblant en hausse depuis dix ans [1-3].
30 à 60% des effets indésirables des médicaments sont prévisibles et évitables, conséquence d’une erreur thérapeutique : excès de traitement (« overuse »), prescription inappropriée (« misuse »), ou insuffisance (« underuse ») [3].
Mais la iatrogénie ne doit pas être systématiquement assimilée à une erreur certains accidents étant imprévisibles ou difficilement dissociables de l’action thérapeutique recherchée. Les sujets âgés ne rapportent spontanément qu’un tiers de leurs symptômes, par crainte de devoir subir des examens complémentaires ou les attribuent à des conséquences du vieillissement [2].
Le diagnostic d’effet indésirable médicamenteux doit être systématiquement évoqué face à un ou plusieurs signes compatibles avec l’administration d’un médicament et non expliqué par l’évolution de la maladie [2].
Références:
[1] Afssaps. Prévenir la iatrogénèse médicamenteuse chez le sujet âgé. 2005.
Qualité de la preuve : niveau 2
Mots clés : Personne âgée - effets indésirables - effets des médicaments et substances chimiques - Troubles liés à une substance [elderly – adverse effects – drug effects substance related disorders].
En quoi le vieillissement modifie-t-il l’action des médicaments ?
L’avancée en âge et la fréquence augmentée des maladies chroniques s’accompagnent d’une diminution physiologique de la réserve fonctionnelle de tous les organes.
Modifications de l’absorption
− Diminution de la vidange gastrique.
− Augmentation du pH gastrique.
− Diminution de la motilité gastro-intestinale.
− Diminution du flux sanguin splanchnique.
− Diminution de l'efficacité de systèmes de transport actifs.
En pratique, le vieillissement de l’appareil digestif interfère assez peu avec l’absorption des médicaments.
Modifications de la distribution et du transport :
− Diminution du compartiment hydrique et de la masse maigre ou musculaire qui augmente le risque de surdosage pour les drogues hydrosolubles.
− Augmentation de la masse grasse qui augmente les risques d'accumulation et de relargage prolongé pour les drogues liposolubles.
− Diminution de l'albuminémie.
− Dénutrition protéino-énergétique dont la prévalence augmente avec l’âge. Elle est de 4 à 10 % chez les personnes âgées vivant à domicile, de 15 à 38 % chez celles vivant en institution et de 30 à 70 % chez les malades âgés hospitalisés.
Le dépistage de la dénutrition chez toutes les personnes âgées de plus de 70 ans nécessite une surveillance régulière du poids et de l’appétit.
Modifications du métabolisme :
− Diminution du métabolisme hépatique des médicaments à forte extraction hépatique.
− Diminution de la masse hépatique.
− Diminution du débit sanguin hépatique.
En pratique, la notion de " vieillissement hépatique " ne justifie pas à elle seule de modifications de la posologie des médicaments.
Modifications de l’excrétion rénale :
− Diminution du flux sanguin rénal.
− Diminution de la filtration glomérulaire.
− Diminution de la sécrétion tubulaire.
− Diminution de la réabsorption tubulaire.
Globalement la masse néphronique diminuant avec l’âge, au delà de 75 ans la fonction rénale a diminué environ de moitié d’où une insuffisance rénale modérée.
La diminution de la filtration glomérulaire chez le sujet âgé rend compte des principales modifications des paramètres cinétiques (augmentation de la demi-vie, diminution de la clairance plasmatique des médicaments à élimination rénale). Elle justifie d'utiliser, pour les médicaments à élimination rénale ou dont le métabolite actif est éliminé par le rein, des posologies adaptées à la fonction rénale.
Sensibilité plus marquée aux effets indésirables, par un affaiblissement des mécanismes de contre-régulation (par exemple la régulation de la pression artérielle).
Ces modifications physiologiques sont aggravées par des épisodes aigus intercurrents (déshydratation, décompensation cardiaque, maladies infectieuses...).
Références :
Qualité de la preuve: niveau 2.
Mots clés : personne âgée – besoins nutritionnels [elderly – nutritional requirements]
Quelle importance du contexte psycho-socio-environnemental dans la prise en charge initiale et le suivi thérapeutique des personnes âgées ?
La prise en charge initiale du patient, le suivi et l’observance des traitements sont dépendants du contexte bio-psycho-social et environnemental, tout particulièrement chez la personne âgée.
L’adhésion thérapeutique souvent régulière chez les personnes autonomes, qui ont développé une alliance thérapeutique avec leur médecin et dont le traitement est bien introduit dans leur routine peut s’avérer beaucoup plus problématique chez les personnes très âgées et polymédiquées souffrant de problèmes cognitifs, fonctionnels, psychologiques ou d'isolement social [1].
Les facteurs de risque sont multiples [2].
Sociaux et environnementaux:
- L’isolement social ou géographique.
- La dépendance.
- Le changement de mode vie : déménagement, institutionnalisation.
- Les conditions climatiques extrêmes.
Mauvaise utilisation des médicaments :
- Prescription inadaptée:
- Surveillance inadaptée, réévaluation insuffisante du traitement, médicaments inutiles ;
- Information insuffisante du patient et de son entourage ;
- Automédication inappropriée ;
- Mauvaise observance du traitement.
Les médicaments eux mêmes :
- Profil de sécurité d’emploi de nouveaux médicaments insuffisamment évalué lors de l’autorisation de mise sur le marché sur des effectifs réduits et chez des patients sélectionnés.
- Polymédication liée aux polypathologies.
C’est la prise en compte de l’ensemble des facteurs de risque et du contexte bio-médico-psychosocial et environnemental du patient au moment de l’instauration, de la surveillance et de la décision de poursuite d’un traitement médicamenteux qui permet de diminuer la survenue d’évènements indésirables [2,3].
Références.
[2] ANSM. Mise au point . Prévenir la iatrogénèse médicamenteuse chez le sujet âgé. Juin 2005.
Qualité de la preuve : niveau 2
Mots clés : personne âgée –effets secondaires indésirables des médicaments – facteurs de risque – [elderly – drug related side effects – risk factors].
Quels sont les risques de prescription inadaptée des médicaments ?
Plusieurs types de situations peuvent être responsables d’une moindre efficacité ou d’effets néfastes [1,2].
- « Overuse » ou excès de traitement : utilisation de médicaments prescrits en l'absence d'indication (n n'ayant jamais existé ou n'existant plus), ou qui n'ayant pas prouvé leur efficacité (service médical rendu – SMR-insuffisant).
- « Underuse » ou insuffisance de traitement : absence d'instauration d'un traitement efficace chez les sujets ayant une pathologie pour laquelle une ou plusieurs classes médicamenteuses ont démontré leur efficacité.
- « Misuse » ou prescription inappropriée : utilisation de médicaments dont les risques dépassent les bénéfices attendus,
- objectifs thérapeutiques inadaptés au malade,
- prescriptions non pertinentes au regard de l’indication/du choix de la classe médica¬menteuse/de la dose et/ou de la durée,
- interactions médicamenteuses,
- association de médicaments ayant des effets indésirables communs et majorant leur toxicité,
- surveillance inadaptée,
- réévaluation du traitement insuffisante,
- médicaments inutiles.
En France en 2005, 21,7% des personnes de plus de 75 ans ou de plus de 65 ans porteurs de polypathologies recevaient un médicament inapproprié. Le taux de prescriptions inappropriées est beaucoup plus élevé chez les personnes soignées à domicile et serait lié au risque d'hospitalisation et de décès [1]. Un patient prenant un traitement inadapté, comparativement à ceux qui n’en ont pas, à un risque (OR) significativement plus élevé d’hospitalisation dans le mois suivant et décès respectivement de 1,27 (p=0,002) et 1,28 (p=0,01). En cas d’exposition intermittente le risque de décès est de 1,89 (p<0,001)[3].
Des listes régulièrement actualisées, Beers, STOPP&START, FORTA, de médicaments qui ne doivent pas être prescrits quel que soit l’état clinique du patient et de médicaments contre-indiqués en présence de co-morbidités définies constituent des outils d’aide pour une prescription optimisée et sécurisée [1-4].
La prescription doit toutefois être adaptée à chaque patient compte tenu de son contexte, certains médicaments proscrits pouvant à titre individuel avoir le rapport bénéfice/risque le plus favorable [1].
Références.
[2] ANSM. Mise au point . Prévenir la iatrogénèse médicamenteuse chez le sujet âgé. Juin 2005.
[5] [http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3907693/pdf/40266_2013_Article_146.pdf Kuhn-Thiel A, Weiß C, Wehling M, The FORTA authors/expert panel members. Consensus Validation of the FORTA (Fit fOR The Aged) List: A Clinical Tool for Increasing the Appropriateness of Pharmacotherapy in the Elderly. Drugs Aging (2014) 31:131–
Qualité de la preuve : niveau 3.
Mots clés : personne âgée –prescription inadaptée – [elderly –inappropriate prescribings]