Anticoagulants Oraux Directs (AOD)
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Quels avantages des anticoagulants oraux directs ?
Les nouveaux traitements anticoagulants non-antivitamines K (AVK), les anticoagulants oraux d’action directe (AOD), ont modifié profondément la pratique en matière d’anticoagulation.
Quatre produits répondent à deux modes d’action différents :
- Les inhibiteurs directs du facteur Xa : apixaban (Eliquis®), rivaroxaban (Xarelto®) et edoxaban (Lixiana®, non commercialisé)
- Un inhibiteur direct de la thrombine (anti-IIa) : dabigatran (Pradaxa®).
Le principal avantage des AOD est leur simplicité d’utilisation comparativement aux AVK [1,2]:
- Une posologie standardisée (dose fixe), variable selon l’AOD utilisé et la pathologie ;
- Pas de nécessité de surveillance régulière des paramètres de la coagulation (INR) ;
- Une absorption rapide par voie orale et action rapide ;
- Une demi-vie plus brève que les AVK, entre 8 et 15 heures selon les produits comparativement à 8 heures pour l’acénocoumarol et 35 à 45 heures pour la warfarine ;
- Moins d’interactions médicamenteuses qu’avec les AVK ;
Mais comme avec les AVK on ne connaît pas le délai à partir duquel les patients sont effectivement anticoagulés.
Diminution du risque d’AVC et d’embolie
Dans une méta analyse de 4 essais contrôlés randomisés de phase 3 [3] chez 71 683 patients comparant les AOD et la warfarine les AOD (tous types confondus) réduisent globalement significativement de 19% le risque d’AVC ou d’embolie systémique (ES) (RR = 0,81 ; IC: 0,73-0,91; p < 0,0001) ainsi que la mortalité (0,90; 0,85-0,95; p < 0,0003). Mais pendant la durée de l’étude et selon les essais entre 58 et 68% des INR des patients sous warfarine n’étaient pas considérés comme étant dans la zone thérapeutique.
Diminution du risque de décès en l’absence d’autre facteur de risque
Dans une étude observationnelle danoise [4] incluant 61 678 patients avec fibrillation auriculaire non valvulaire, sans signe de thrombose veineuse et n’ayant jamais reçu d’anticoagulants oraux, répartis en quatre groupes (warfarine, dabigatran 150 mg, rivaroxaban 20 m, apixaban 5 mg), sur une durée moyenne de suivi de 1,9 an (0,9 an pour le groupe apixaban) comparativement à la warfarine le rivaroxaban était associé à un taux plus bas d’AVC ischémique ou d’ES (3,0% vs 3,3% ; HR 0,83; 0,69 - 0,99) avec une différence non significative pour le dabigatran et l’apixaban (respectivement 2,8% et 4,9%).
Le risque annuel de décès était significativement plus bas pour les AOD, respectivement 5,2% (HR 0,65 ; 0,56-0,75), 2,7% (0,63; 0,48-0,82) et 8,5% pour l’apixaban, le dabigatran et la warfarine.
Pas d’influence sur la mortalité en cas de facteurs de risque d’AVC
Dans une revue Cochrane [5] de 8 essais randomisés contrôlés (26 601 patients avec FA plus un ou plusieurs facteurs de risque d’AVC) comparativement à la warfarine le dabigatran à la dose de 150 mg deux fois par jour a une efficacité supérieure, à la limite de la signification statistique (OR : 0,86; 0,75 - 0,99). Aucune différence n’a été mise en évidence sur la mortalité.
En traitement de 1ère intention le choix entre AVK et AOD se fera au cas par cas en tenant compte des facteurs de risque (âge, poids, fonction rénale, capacité d’observance) et des préférences du patient. Il n’existe à l’heure actuelle aucun argument scientifique pour remplacer par un autre un traitement par un anticoagulant oral efficace et bien toléré [1].
Références :
Qualité de la preuve : Grade 3
Mots clés : agents anticoagulants [anticoagulant agents].
Quels sont les inconvénients ?
Le manque d’agent neutralisant et l’absence de moyens pour mesurer le degré d’anticoagulation par les tests d’hémostase courants rend impossible le suivi malgré une possible variabilité de ce degré d’anticoagulation due à des variations de concentrations plasmatiques [1,2].
Comme avec les AVK les interactions médicamenteuses et alimentaires induisent une variabilité du niveau d’anticoagulation.
Les interactions médicamenteuses sont variables selon l’AOD : macrolides, antiprotéases anti-VIH, antifongiques azolés (conazoles), anticancéreux inhibiteurs de tyrosine kinase, ciclosporine, utilisation répétée de jus de pamplemousse, amiodarone, diltiazem ou vérapamil, antiépileptiques, rifampicine, certains antirétroviraux, millepertuis, antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou de la noradrénaline ;
Il existe un risque de surdosage en cas d’insuffisance rénale ou hépatique ou de faible poids chez les personnes âgées. Dans une étude de cohorte sur 3 ans de 92 816 patients de 18 à plus 75 ans comparant le risque de saignement intestinal associé à la prise de dabigatran, rivaroxaban et warfarine [3] le risque de saignement augmente après 65 ans et après 75 ans le risque sous dabigatran excédait celui de la warfarine.
En dehors du dabigatran on ne dispose pas d’agent neutralisant de l’effet anticoagulant.
Comme avec les AVK un mésusage des AOD lié à un non-respect des recommandations et des modalités de prescription augmente le risque thrombotique ou hémorragique.
Références :
Qualité de la preuve : Grade 3
Mots clés : agents anticoagulants; effets indésirables [anticoagulant agents; adverse effects]
Quelles sont les indications des AOD ?
Les AOD ont montré leur non-infériorité par rapport aux antivitamines K sans augmentation du taux de saignement mais la prudence s’impose chez les sujets à risque et les sujets âgés.
Initialement réservés à la prévention des évènements thromboemboliques veineux (TEV) en chirurgie programmée de la hanche ou du genou, les indications ont été élargies à [1,2]:
- La prévention des accidents vasculaires cérébraux ischémiques (AVC) et des embolies systémiques (ES) chez les patients souffrant d’une fibrillation auriculaire non valvulaire (FA).
- Et la prévention et le traitement curatif de la maladie thromboembolique veineuse et de l’embolie pulmonaire (EP) et de leur récidive.
Si la prescription d’un AOD est envisagée, il convient de prendre en considération son élimination rénale et les modalités de prescription propres à chaque médicament telles que le nombre de prises, les critères de réduction de dose, les interactions médicamenteuses ainsi que les précautions d’emploi et les contre-indications [1].
Ils sont contre indiqués chez la femme enceinte ou allaitante [1].
Les AOD constituent une alternative chez le sujet de moins de 65 ans pour lequel il existe des difficultés à équilibrer un traitement, un refus des contraintes liées à l’antivitamine K ou une contre-indication à ce traitement. Ils n’ont pas démontré leur efficacité dans la fibrillation auriculaire liée à une pathologie valvulaire ni dans la prévention des thromboses de valve [1,2].
Références :
Qualité de la preuve : Grade 3
Mots clés : agents anticoagulants; utilisation [anticoagulant agents; utilization]
Le recours aux AOD est-il différent chez un patient cancéreux ?
Les thromboses associées au cancer sont la seconde cause de décès chez ces patients après la progression tumorale.
Les patients recevant une chimiothérapie ont un risque de 8 à 12% de présenter un ETEV et certaines localisations tumorales sont particulièrement concernées (poumon, estomac, ovaire et cerveau). Certaines thérapeutiques accroissent également le risque thrombotique : chimiothérapie, traitements anti-angiogéniques, hormonothérapie et érythropoïétine (EPO) [1].
En prévention secondaire
Après une thrombose associée au cancer, différentes études ont comparé les AOD et les autres anticoagulants, en particulier sur le risque de récurrences des ETEV.
Une méta-analyse de ces essais [2] montre un risque plus bas de récidive d’ETEV pour les participants traités par AOD comparés à ceux traités par HBPM ou AVK (RR 0,63 ; 0,51–0,79 ; p < 0,0001).
En comparaison avec les HBPM, les AOD ne présentaient pas de différence significative de risque d’hémorragies majeures (RR 1,31 ; 0,78–2,18 ; p = 0,31) mais un risque augmenté pour les hémorragies non majeures (RR 1,60 ; 1,13–2,26 ; p = 0,008).
En phase aiguë des thromboses liées au cancer, l’utilisation des AOD peut être envisagée après 5 jours d’HBPM, et même d’emblée à posologie renforcée pour le Rivaroxaban [3].
En prévention primaire
Deux études ont été récemment réalisées comparant Rivaroxaban (CASSINI) et Apixaban (AVERT) contre placebo chez des patients cancéreux à haut risque d’ETEV (grade ≥ 2 de Khorana correspondant à un risque de plus de 10%).
- L’essai CASSINI comparant 6 mois de prévention antithrombotique par Rivaroxaban 10 mg/j à un placebo chez 841 patients montre une réduction des ETEV (HR 0,40 ; 0,20–0,80), sans augmentation significative des hémorragies majeures (HR 1,96 ; 0,59–6,49) [4].
- L’essai AVERT comparant Apixaban (2,5 mg 2 fois par jour) au placebo pendant 6 mois chez 573 patients cancéreux débutant une chimiothérapie montrait une réduction significative des ETEV sous Apixaban (4,2% vs 10,2% ; HR 0,41 ; 0,26–0,65 ; p<0,001), mais un risque augmenté de saignements majeurs (3,5% vs 1,8% ; HR 2,0 ;1,01–3,95 ; p=0,046) [5].
Le cancer est associé à un risque d’ETEV augmenté, à évaluer en particulier après une première thrombose ou en péri-opératoire.
Qualité de la preuve : Grade 3
Mots clés: agents anticoagulants; cancers [anticoagulant agents; neoplasms].
Références :
[4]. Khorana AA, Soff GA, Kakkar AK, et al. Rivaroxaban for thromboprophylaxis in high-risk ambulatory patients with cancer. N Engl J Med 2019; 380: 720–8.
[5]. Carrier M, Abou-Nassar K, Mallick R, et al. Apixaban to prevent venous thromboembolism in patients with cancer. N Engl J Med 2019; 380: 711–9.
La maladie cancéreuse modifie-t-elle l’effet des AOD ?
La maladie cancéreuse, ses conséquences et ses traitements peuvent modifier considérablement le métabolisme des AOD et leur effet thérapeutique.
L’absorption digestive des médicaments peut être perturbée par la réduction de l’alimentation et les troubles digestifs. La sarcopénie, l’hypoalbuminémie ou les œdèmes peuvent modifier considérablement le volume de distribution des médicaments.
L’élimination biliaire ou rénale des traitements anti cancéreux peut être en compétition avec celle des AOD. Leur utilisation n’est pas recommandée en cas d’insuffisance rénale sévère (clearance < 15 mL/mn) et doivent être prescrits avec prudence à faible dose (5 mg/j pour l’apixaban et 15 mg/j pour le rivaroxaban) si clearance entre 15 et 30 mL/mn. Un débit de filtration glomérulaire inférieur à 30ml/mn est une contre-indication à l’utilisation du dabigatran [1].
Les interactions médicamenteuses pharmacocinétiques avec des traitements anti néoplasiques ou des traitements de supports, peuvent être sources de sur ou sous dosages du traitement anti thrombotique. Tous les AOD ont un métabolisme dépendant du CYP3A4 et d’un transport membranaire la P-glycoprotéine (P-gp) ce qui crée un risque d’interactions lors d’une administration concomitante de certains traitement anticancéreux. Les concentrations d’AOD peuvent être rapidement augmentées lors d’une co-administration avec des inhibiteurs du CYP3A4 et/ou P-gp (tamoxifène, abiraterone, ciclosporine, tacrolimus, lapatinib...) ou réduites par leurs inducteurs (paclitaxel, enzalutamide, dexamethasone...) avec des conséquences thrombotiques ou hémorragiques potentielles [2].
La prescription des AOD chez un patient cancéreux doit donc débuter par une évaluation des différents aspects propres à la situation de chaque patient. L’utilisation d’HBPM est la seule solution dans certaines situations à fort risque d’interactions médicamenteuses.
Qualité de la preuve : Grade 3
Mots clés : agents anticoagulants ; interactions médicamenteuses [anticoagulant agents ; drug interactions]
Références :
Quelles interactions médicamenteuses avec les AOD ?
Les interactions médicamenteuses impactant la sécurité ou l’efficacité des AOD, si elles sont moins fréquentes qu’avec les AVK, ne doivent pas être oubliées, d’autant plus que les patients concernés sont souvent polymédicamentés.
Interactions pharmacodynamiques avec d’autres médicaments
Un risque hémorragique aggravé
La prise concomitante d’AOD et de médicaments inhibant l’agrégation plaquettaire augmente le taux de complications hémorragiques.
Dans une étude cas témoins sur 393 patients ayant présenté un saignement majeur comparés à 1494 témoins parmi une cohorte de 23 492 nouveaux utilisateurs d’AOD [1], l’usage concomitant d’un médicament ayant une interaction pharmacodynamique - AAP, antidépresseur inhibant la recapture de la sérotonine (IRS) ou inhibiteur de la recapture de la noradrénaline et de la sérotonine (IRNS) - est associé à une augmentation du risque de saignement majeur (21,6% vs 13,5%). L’odds ratio ajusté (aOR) AOD-interaction médicamenteuse selon les autres facteurs en jeu était de 1,92 (IC 95% : 1,40–2,66), 2,01 (1,29-3,11) pour les AAP et 1,68 (1,10-2,59) pour les IRS.
Le bénéfice antithrombotique de l’association AOD-AAP par rapport au risque hémorragique chez les patients coronariens a fait l’objet de nombreuses études sans pouvoir être affirmé, ni complétement écarté en fonction de risques particuliers : phase initiale après pose de stent, évolutivité de la coronaropathie, diabète [2].
Un risque réduit
Le risque hémorragique des AOD est réduit par des médicaments qui agissent sur des facteurs favorisant les complications hémorragiques, comme les IPP ou les antihypertenseurs (amlodipine, nifédipine) ou ß-bloquants (bisoprolol).
Mais cette tendance protectrice peut être modifiée pour certains produits par l’augmentation de leur biodisponibilité due à des interactions pharmacocinétiques [3,4].
Des interactions pharmacocinétiques modifiant le taux sanguin des AOD
Les AOD sont concernés au niveau de leur biodisponibilité par les isoenzymes 3A4 (CYP3A4), 2J9 (CYP2J9) du cytochrome P450 essentiellement impliqué dans leur métabolisation cellulaire en particulier hépatique, et par la glycoprotéine P (P-gp), protéine transporteur de membrane cellulaire, essentiellement impliquée dans leur élimination rénale.
Les substances médicamenteuses ou alimentaires inhibant l’activité de ces systèmes favorisent une augmentation de leur disponibilité, avec augmentation du risque hémorragique, en particulier lorsque l’inhibition est forte à la fois sur les deux systèmes. Sont concernés des antifungiques imidazolés (ketoconazole, itraconazole…), des antirétroviraux (ritonavir, lopinavir, saquinavir ...), des antibiotiques (clarithromycine, télithromycine ...), des anti arythmiques (vérapamil, diltiazem, amiodarone ...), des antihypertenseurs (telmisartan), des immunosuppresseurs (tacrolimus, ciclosporine) et le jus de pamplemousse.
D’autres substances sont inducteurs de ces systèmes et leur interaction diminue l’activité antithrombotique des AOD. Dans ce groupe on peut citer la rifampicine, la carbamazépine, la phénytoïne, le millepertuis [4].
L’importance des interactions pharmacocinétiques peut varier selon les AOD, en particulier en fonction de leur élimination rénale. L’augmentation du risque hémorragique par la co-prescription de vérapamil ou de diltiazem est constatée avec le dabigatran et non significative avec le rivaroxaban et l’apixaban dont l’élimination rénale est moins importante [5].
L’importance des interactions médicamenteuses peut varier selon les AOD. Il faut signaler également l’impact possible du jus de pamplemousse, seule interaction alimentaire notable. Le recours pour le prescripteur à une base facilement consultable, comme la base canadienne INESS [6], peut-être précieux pour la sécurité du patient.
Qualité de la preuve : Grade 3
Mots clés : agents anticoagulants ; interactions médicamenteuses [anticoagulant agents ; drug interactions]
Références :
[3] Kawano Y, NagataM, Nakamura S et al. Comprehensive Exploration of Medications That Affect the Bleeding Risk of Oral Anticoagulant Users. Biol. Pharm. Bull.2012; 44(5) :611–9.