Prévention du suicide
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Quelle est la fréquence des suicides et tentatives de suicide ?
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 800 000 décès sont attribuables chaque année à un suicide dans le monde.
La France présente un des taux de suicide les plus élevés d’Europe, derrière les pays de l’Est, la Finlande et la Belgique [1].
En 2015 les données du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CepiDC-Inserm) faisaient état de 8 948 décès par suicide [1-3].
Selon les données de l’enquête Baromètre de Santé publique France en 2017[4], 1148 personnes de 18 à 75 ans (4,7% ; IC 95% : 4,4-5,1) déclaraient avoir pensé se suicider au cours des 12 derniers mois, 7,2% avaient tenté de se suicider au cours de leur vie et 0,39% au cours de l’année.
Les femmes étaient proportionnellement plus nombreuses que les hommes, respectivement 5,4% et 4,0% (p < 0,001).
Références:
[2].HAS. Les suicides et tentatives de suicides de patients. Rapport juillet 2022. (cité 5 févr 2024).
[3].Dress. Données épidémiologiques sur les décès par suicide. (cité 5 févr 2024).
Qualité de la preuve : Grade 1
Mots clés : suicide ; épidémiologie [suicide ; epidemiology].
Quelles sont les motivations ?
Les motivations les plus souvent retrouvées sont des raisons familiales (41,4%), sentimentales (32,3%), professionnelles (27,6%), financières (23,7%) et de santé (23,7%).
Selon le genre les pensées suicidaires de femmes sont plus souvent liées à des raisons familiales (48,3% vs 31,6% ; p < 0,001) et celles des hommes à des raisons professionnelles (31,5% vs 24,8% ; p < 0,05%).
Selon l’âge les jeunes de 25 à 34 ans citaient davantage des raisons sentimentales : 53,8% pour les 18 – 24 ans et 44,9% pour les 25-34 ans (p < 0,01 comparativement aux autres tranches d’âge). Les 45 – 54 ans citaient davantage des raisons professionnelles et les 65 – 75 ans des raisons de santé, respectivement 37,6% et 36,8% (p < 0,01 comparativement aux autres tranches d’âge).
Selon le niveau d’études les femmes de niveau supérieur au BAC étaient plus à risque d’avoir eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois (risque relatif ajusté [ORa = 1,5 ; p=0,067) que les hommes.
Selon les régions les taux de suicide varient fortement dépassant, par rapport à la moyenne nationale, de 47,7% en Bretagne, 20% en Normandie, Pays de la Loire et Hauts de France. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Corse enregistrent au contraire les taux les plus bas, inférieurs de 15% par rapport à la moyenne en France métropolitaine [1].
Globalement, le taux de décès par suicide a tendance à diminuer dans le temps, de -26% entre 2003 et 2014. Cette baisse est plus importante sur la période 2008-2014 (-18 %) que sur 2003-2008 (-10 %). Les taux diminuent pour toutes les classes d’âge entre 2003 et 2008 à l’exception des 55-64 ans [1].
Les difficultés financières, le fait d’être célibataire, divorcé ou veuf, l’inactivité professionnelle ainsi que les évènements traumatisants sont associés aux comportements suicidaires. Le facteur le plus associé aux pensées suicidaires est d’avoir vécu un épisode dépressif caractérisé au cours de l’année (ORa=8,3 pour les hommes et 6,6 pour les femmes) [2,4].
Références :
[1]. Dress. Données épidémiologiques sur les décès par suicide. (cité 5 févr 2024).
[3]. HAS. Les suicides et tentatives de suicides de patients. Rapport juillet 2022. (cité 5 févr 2024).
Qualité de la preuve : Grade 1
Mots clés : suicide ; épidémiologie ; facteurs de risque [suicide ; epidemiology ; risk factors].
Quels sont les modes opératoires des tentatives de suicide les plus fréquents ?
Les intoxications médicamenteuses volontaires (IMV) représentent le mode opératoire le plus fréquent des tentatives de suicide [1].
Dans une étude sur les motifs d’hospitalisation pour tentative de suicide entre 2008 et 2017, quelle que soit l’année, les IMV, représentaient 87% et 75% des hospitalisations pour tentative de suicide (TS) respectivement chez les femmes et chez les hommes.
Les psychotropes sont responsables de plus de 60% des TS hospitalisées, respectivement 64% et 55% chez les femmes et les hommes ; sédatifs barbituriques (82% des cas) et antidépresseurs (10%). Sont également retrouvés les antipyrétiques (principalement le paracétamol (10%), des médicaments à visée cardiovasculaire (2,6%), des antibiotiques, des antidiabétiques, différents traitements hormonaux (moins de 1%).
Les autres modes opératoires sont représentés par des intoxications avec des produits non médicamenteux (pesticides), l’utilisation d’objets tranchants (7% et 8% respectivement chez les femmes et les hommes) et la pendaison (1 et 4 %). Le saut dans le vide, les collisions volontaires, les noyades, l’exposition au feu sont moins fréquents.
Entre 2008 et 2017 les IMV aux psychotropes ont diminué parallèlement à une augmentation des IMV aux analgésiques antipyrétiques, aux produits non médicamenteux, aux lésions par objet tranchant (+ 5 points et + 3 points respectivement chez les femmes et les hommes) et les pendaisons (+ 1,6 points) [2].
Références:
Qualité de la preuve : Grade 1
Mots clés : suicide ; épidémiologie [suicide ; epidemiology].
Les médias peuvent-ils avoir une influence sur une augmentation de l’incidence des suicides ?
Une large couverture médiatique d’un suicide de personnes célèbres peut déclencher des suicides par imitation dans le grand public [1]
L’effet d’imitation après reportage sur le suicide de célébrités a été nommé “effet Werther“ par assimilation avec le chagrin du héros de Goethe ayant mis en scène son suicide en 1774.
Le plus large effet Werther fut observé suite au décès par suicide de Marilyn Monroe. Durant le mois suivant son suicide, survenu en avril 1962 à 54 ans, on observa à New York 303 suicides additionnels chez les personnes de 45 à 59 ans, c’est-à-dire du même âge, soit une augmentation de 12%, alors que l’élévation de la mortalité par suicide aux États-Unis n’est que de 2,5% dans le mois suivant la relation médiatique du suicide d’autres personnes [1].
De même en 1993 le suicide de Pierre Beregovoy, ancien premier ministre, a été suivi dans le mois suivant d’une augmentation de 17,6% du taux de suicides et de 26 % des suicides par armes à feu [2].
Plus de 150 études ont étudié l’effet de la médiatisation du suicide des célébrités ou de leurs commentaires sur une augmentation des taux de morbi-mortalité suicidaire.
Dans une revue systématique et méta analyse [3] de 31 études publiées entre 1974 et 2016 dont 20 présentaient un risque de biais modéré, 19 en Asie, Europe, Amérique du Nord et Australie ont montré, au cours de la période de 7 à 60 jours (médiane de 28 jours) suivant un reportage sur la mort par suicide d’une célébrité, une augmentation du nombre de suicides de 13 % (IC 95 % ; 8 % - 18 % ; p < 0,001; 14 études).
Dans des analyses univariées il y avait de faibles preuves de cette association dans les études publiées avant 2005 (rapport 1,12 ; 0,99-1,26 ; 2 études) mais des preuves évidentes depuis 2006 : 1,13 (1,04-1,23 ; 3 études), 1,06 (1,02-1,26 ; 4 études) et 1,16 (1,11-1,22 ; 5 études) respectivement pour les trois périodes 2006 – 2010, 2011-2015 et après 2016.
Le rapport était légèrement supérieur en cas de suicide d’artiste (1,17 ; 1,12-1,23 ; 6 études) par rapport à d’autres types de célébrités (1,08 ; 1,04-1,12 ; 8 études). Les mêmes différences étaient observées selon que le suicide concernait une seule célébrité ou plusieurs.
Lorsque la méthode de suicide utilisée par la célébrité était signalée il y avait, dans la période de 14 à 60 jours (médiane 28 jours) suivant le reportage une augmentation de 30 % des décès par la même méthode (rapport de taux 1,30 ; 1,18 - 1,44 ; p < 0,001 ; 11 études) [1].
Le signalement des décès par suicide de célébrités semble avoir eu un impact significatif sur le nombre total de suicides dans la population générale. L’augmentation était plus marquante en ce qui concernait le recours à la même méthode que celle utilisée par la célébrité.
Références:
Qualité de la preuve : Grade 1
Mots clés : suicide ; prévention et contrôle [suicide ; prevention and control].
Les reportages médiatiques peuvent-ils avoir un effet protecteur vis-à-vis du risque suicidaire ?
L'impact du signalement des suicides ne peut pas se limiter aux effets nuisibles. Certains contenus conceptualisés sous le terme “ effet Papageno “ sont associés avec une diminution des taux de suicides.
Dans l’opéra « La flûte enchantée » de Mozart, Papageno, un oiseleur qui croit avoir perdu son amour, élabore un plan pour mettre fin à sa vie. Au moment où il décide de se pendre, surviennent trois jeunes garçons qui arrêtent son geste, l’incitant à envisager une autre voie.
Une étude écologique de 497 articles de la presse écrite étudiant la variation géographique des suicides publiés en Autriche entre le 1er janvier et le 30 juin 2005 [1] visait à identifier les associations entre le contenu des articles médiatiques et les changements à court terme dans les taux de suicide selon les régions d’influence des différents journaux étudiés. Elle montre que les messages médiatiques peuvent avoir une portée préventive des comportements suicidaires lorsque les médias abordent l’idéation suicidaire sans parler de passage à l’acte et mettent l'accent sur la volonté de « continuer à vivre » et sur l'importance de l’adoption de mécanismes d’adaptation positifs (coping) pour faire face à la situation.
Une autre étude réalisée avec le réseau téléphonique américain de prévention du suicide (National Suicide Prevention Lifeline, NSPL [2] a évalué l’impact médiatique d’une chanson du rappeur américain « Logic » intitulée «1-800-273-8255 » (numéro de téléphone de la NSPL). La chanson raconte la détresse d’un homme suicidaire qui, suivant les recommandations du rappeur dans le rôle d’un conseiller téléphonique, finissait par retrouver goût à la vie et renonçait au suicide.
Dans la période des 34 jours après la sortie de la chanson, sa diffusion nationale à la cérémonie des MTV Music Awards et à celle des Grammys Awards (les « grandes messes » des récompenses de la musique américaine) la NSPL a reçu un excès de 9915 appels (6594 - 13236) soit une augmentation de 6,9% (4,6% - 9,2%) par rapport au nombre attendu. Le pays a enregistré sur la même période 5,5% de suicides en moins (0,8 % - 10,1%) chez les 10-19 ans, avec une estimation de 245 morts évitées.
La couverture d'une adaptation positive dans des circonstances défavorables, comme le font les médias sur les idées suicidaires, peut avoir des effets protecteurs.
Références:
Qualité de la preuve : Grade 1
Mots clés : suicide ; prévention et contrôle [suicide ; prevention and control].
Comment repérer un risque suicidaire en consultation ?
Des facteurs de risque de suicide doivent attirer particulièrement l’attention [1].
Il est recommandé d’être attentif aux facteurs de risque individuels et environnementaux de dépression et de suicides. Ces facteurs de risque ne sont spécifiques ni à la dépression ni au suicide, et la majorité des suicides ou tentatives de suicide ne sont pas secondaires à une dépression caractérisée [1].
Les adolescents vivant en foyer, déracinés, ayant affaire au système judiciaire et/ou ayant été victimes de maltraitance sont considérés comme à « très haut risque » de dépression ou de suicide (HAS.Recommandations 2014) [1].
Il est recommandé de rechercher des signes d’alerte suicidaire [1].
- Certains facteurs signent la gravité de la tentative de suicide : préméditation, dissimulation du geste, absence de facteur déclenchant explicatif, moyen ou scénario à fort potentiel létal, moyen toujours à disposition.
- Il existe un degré de gravité croissant entre les idées de mort, l’idéation suicidaire, l’intention suicidaire et la préparation du geste suicidaire.
(HAS Recommandations 2014)[1]
Des outils sont utiles pour aider le médecin généralistes pour le repérage du risque suicidaire
Le questionnaire ASQ [2]
1- Au cours des dernières semaines, as-tu souhaité être mort ?
2- Au cours des dernières semaines, as-tu pensé que ce serait mieux pour ta famille que tu sois mort ?
3- Au cours des dernières semaines, as-tu pensé à te suicider ?
4- As-tu essayé de te suicider ?
5- Si le patient répond « Oui » à l’une des questions précédentes, poser la question suivante : “as-tu actuellement des idées de suicide ? Si oui, dis-moi comment“.
S’il répond « Oui » à l’une des quatre premières question et « Non » à la question cinq, il a besoin d’une évaluation psychiatrique rapide ; s’il répond « Oui » il y a un risque de suicide élevé qui nécessite une prise en charge immédiate.
Ce questionnaire a été évalué dans des services d’urgence et de psychiatrie en milieu urbain aux États-Unis pour des consultants de 10 à 21 ans avec une sensibilité de 96,9 % (IC à 95 % : 91,3-99,4), une spécificité de 87,6 % (84,0-90,5) et des valeurs prédictives négatives de 99,7 % (98,2-99,9) pour des recours aux urgences médicales ou chirurgicales et de 96,9 % (89,3-99,6) pour les urgences psychiatriques. Il n’a pas été testé en consultation de médecine générale.
Le test BITS (Bullying [harcèlement]-Insomnia-Tobacco-Stress) [3].
1. As-tu été Brimé ou maltraité dans ton établissement scolaire y compris par téléphone ou Internet? □ non = 0, □ oui = 1, □ hors l’établissement scolaire = 2
2. As-tu souvent des Insomnies ou des troubles du sommeil? Des cauchemars? □ non = 0, □ oui = 1, □ des cauchemars = 2
3. Fumes-tu du Tabac? □ non = 0 □ oui, irrégulièrement = 1, □ oui, tous les jours = 2
4. Te sens-tu Stressé par le travail scolaire ou bien l’ambiance familiale? □ non = 0, □ oui = 1, □ par les deux = 2
Établir le score de chaque question: 0 à 2. Un score total ≥3 est associé avec un plus grand risque de problématique suicidaire.
Ce test permet d’alerter le médecin généraliste concernant l’éventualité d’une problématique suicidaire chez un adolescent consultant pour un motif tout autre.
Ces tests ne doivent pas être vus comme un interrogatoire mais les questions doivent être distillées au cours de la consultation si l’intuition clinique du médecin lui fait penser à un risque de suicide.
En cas de BITS positif, le médecin saura qu’il sera utile de prioriser la discussion des thèmes de santé mentale, soit par lui-même s’il est en mesure d’offrir des soins adaptés soit en assurant le lien vers un pédopsychiatre ou des structures de soins adaptés à la prise en charge des jeunes présentant des idées suicidaires, y compris les numéros d’appel d’urgence pour les jeunes et leurs familles [3].
Références:
Qualité de la preuve : Grade 3
Mots clés : suicide ; intervention médicale précoce ; outils [suicide ; early medical intervention ; tools].